De Bénarès
à Jerez - Les influences
L'Andalousie
est une terre du désert. Orient dans l'Occident, ses
reliefs ont l'âpreté du cante jondo (le
chant profond) au cri rauque et dénudé, souvenir
des carceleras, les anciens chants des prisonniers
gitans. Exacerbée, tendue, la voix gitane, à
l'image d'un voyage à l'éternel recommencement,
ne conclut jamais ; elle reste comme attachée à
un bout de ciel et suspend son silence brutal llanto dans
une sorte de vide du temps et du passé. Ce silence
ondulé, cité maintes fois par le poète
Federico Garcia Lorca, semble se figer dans un espace infini
comme se sont posés un jour en terre andalouses ces
peuples d'un orient lointain, cette tribu prophétique
aux prunelles ardentes, décrite par Baudelaire venue
de l'Inde.
Réminiscences
des gestes : celui du frappement du talon exaspéré,
le taconeo d'une danseuse flamenco devenant parcelle
de mémoire et peut-être souvenir des anciens
codes chorégraphiés de la danse kathak qui se
développa au XVe siècle dans les lieux sacrés
et profanes de l'Inde du Nord. Le martèlement hallucinant
des pieds de la danseuse kathak met en valeur la verticalité
d'un corps tendu vers le haut et le divin alors qu'une gitane
aux yeux de flamme piétine le sol comme dans un rite
de fécondité ou de mort.
Maure,
juive, gitane, byzantine, mozarabe (du nom des premiers chrétiens
de Cordoue), l'Andalousie, par réaction à nos
problèmes contemporains de société entretient
le mythe de l'harmonie. L'oiseau noir Zyriab, l'ancien esclave
dont l'art illuminera les palais de cette civilisation arabe
de l'Occident, parafera dès le IXe siècle l'idée
de la voix porteuse de cette transe de l'émoi, ce tarab
devenu plus tard duende dans le flamenco. Le zajal
(ou zéjel) du poète et chanteur de rues de Cordoue
Abû Bakr Ibn Kuzmân (mort en 1160) deviendra le
villancio andalou (chant de Noël). Les fameux Muwashshahaât
ces poèmes chantés en arabe classique, joyaux
de l'art arabo-andalou évoquent les fandangos de la
tradition populaire andalouse.
Au-delà
de toute approche historique et musicologiques tendant à
restituer les origines et les apparences de chacun, il suffit
de se laisser emporter dans ce labyrinthe musical où
flamenco, musique arabo-andalouse et danse indienne procèdent
de la même vérité.
Le
fait que cette vérité se manifeste par des fragments
de gestes, des segments de modes musicaux, des similitudes
d'intonation vocales entre ces différents styles, suggère
de manière encore plus intense la force du passé.
Les peuples en marge et en mouvement se laissent porter par
diverses vagues d'inspiration, les influences glanées
ça et là servant à raconter leur quotidien.
Le miracle est de constater que le quotidien d'aujourd'hui
s'abreuve toujours aux sources avec le même état
d'esprit qu'à l'époque de l'âge d'or arabo-andalou
ou à l'apogée des cafés cantantes de
Séville au siècle dernier.
Alain
WEBER
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