Si l'Argentine a aujourd'hui une population
en grande majorité blanche, elle a pourtant été
un grand pourvoyeur d'esclaves africains, dont l'influence
sur l'origine du tango argentin semble attestée.
Demeurée vivante dans les rythmes et les danses du
candombé uruguayen, la tradition africaine en tant
que telle est cependant difficile à retracer avec
précision dans le tango argentin. Phénomène
musical et chorégraphique devenu mondial, celui-ci
procède d'un métissage particulièrement
original, qui s'est réalisé dès la
seconde moitié du XIXe siècle au sein des
communautés d'émigrés européens,
notamment italiens ou français comme Carlos Gardel,
le plus célèbre des tangueros. Les principales
sources du tango sont les danses populaires du Río
de la Plata comme la milonga, mêlées à
l'influence de la habanera cubaine ou du tanguillo andalou.
A l'origine, le tango était accompagné
à la guitare, au violon et à la flûte,
parfois aussi au piano; l'apparition du bandonéon,
un instrument d'origine allemande aujourd'hui indissociablement
lié à l'image du tango, ne date probablement
que des premières années du XXe siècle.
Très populaire jusqu’aux années 1950,
il perdra ensuite quelque peu de sa popularité jusqu’à
ce que surgisse une personnalité qui allait en renouveler
radicalement l’esthétique : le compositeur
et bandonéoniste Astor Piazzola (1921-1992), figure
emblématique du tango nuevo, dont l’influence
marquera toutes les générations suivantes
de tangueros. Sa musique pour le film Sur de Fernando Solanas
(1988) est restée dans toutes les mémoires.
« Lumières Tango » propose
une image résolument actuelle du tango et de ses
récents développements en Argentine et en
Europe. Les quatre groupes présentés dans
ce cycle de concerts illustrent les principaux courants
du tango contemporain : nouvelles compositions et timbres
instrumentaux inédits, rapprochement avec le jazz
et les musiques improvisées, mais aussi affirmation
d’un lien nouveau avec les racines du tango, revisitées
avec talent et créativité. Le groupe Linea
13, exceptionnellement associés au virtuose du bandonéon
César Stroscio ; le guitariste et chanteur Narciso
Saúl, dont l’approche intimiste et épurée
est soutenue par une nouvelle formation ; le prodigieux
bandonéoniste Marcelo Mercadante, dont les «
Banlieues de l’âme » (Suburbios del alma)
nous proposent une approche roborative du tango contemporain
; et enfin la chanteuse Maria de la Paz, pour la première
fois associée au groupe Libertango d’Eduardo
Kohan pour une commande spéciale des Ateliers d’ethnomusicologie.
Cette incursion dans le monde du tango
pourra être approfondie par la découverte d’un
film récent, « 12 tangos – Return Ticket
to Buenos Aires », encore jamais présenté
à Genève, par un stage d’introduction
par la danseuse Mariela Casabonne, et enfin par un conférence
du spécialiste Norberto Gimelfarb, qui fournira les
principales clefs d’accès à l’univers
fascinant du tango.
C’est à une image décapante
du monde du tango que nous invite ce cycle de concerts :
musique urbaine par excellence, née dans les quartiers
pauvres de Buenos Aires, le tango a grandi dans la rue,
dans les bars louches et les lupanars crasseux, nourri d’aventures
cruelles et de souvenirs douloureux. Et s’il a un
jour conquis Paris et les salons chics des grandes capitales,
ça n’a jamais été au prix de
son âme. Ces « Lumières Tango »
éclairent un labyrinthe d’émotions intenses,
parfois pathétiques, parfois jubilatoires, mais toujours
criantes de vérité.
Laurent Aubert