« A l’écoute
des esprits »
Musique et Chamanisme
: un livre et un
cycle de concerts
Le
chamanisme intéresse depuis longtemps l’ethnologie
et l’histoire des religions. Après y avoir vu
des formes magico-religieuses reflétant une vision
du monde « primitive » marquée par l’animisme,
le totémisme ou le polythéisme, ou encore, comme
Mircea Eliade, des « techniques archaïques de l’extase
», les chercheurs ont progressivement modifié
leur approche pour les considérer comme des institutions
dotées de sens, voire d’efficacité au
sein de leur contexte socioreligieux, et qu’il convient
de considérer en tant que telles dans leurs manifestations
contemporaines, ceci quelle que soit la grille d’interprétation
qu’ils y appliquent.
Il est intéressant de constater qu’au-delà
du cercle des spécialistes, le chamanisme fascine un
public de plus en plus large, manifestement à la recherche
de formes « alternatives » d’initiation
ou d’expérience spirituelle, dont les religions
conventionnelles n’offriraient aujourd’hui aucun
équivalent. Ces nouveaux adeptes de « religiosité
sauvage » sont notamment sensibles aux états
modifiés de conscience auxquels l’application
de ces « méthodes de connaissance de soi »
permettrait d’accéder, en d’autres termes
à leur dimension psychotrope et aux « portes
de la perception » qu’elles seraient censées
entrouvrir. Une abondante littérature est d’ailleurs
disponible sur le sujet, que ce soit sous forme de monographies,
d’études comparatives ou d’ouvrages de
vulgarisation, voire de manuels pratiques, d’intérêt
divers et souvent teintés de néo-spiritualisme
à tendance New Age.
A de rares exceptions près, la musique
est toujours présente dans les séances chamaniques.
Ce constat est à la source d’un vaste débat
sur le rôle de la musique en situation rituelle et,
plus généralement, sur la nature des pouvoirs
dont elle semble investie. Cette problématique avait
été abordée lors du colloque «
Entrez dans la transe ! », qui s’était
tenu les 20 et 21 mai 2005 à l’annexe de Conches
du Musée d’ethnographie lors de l’exposition
« Les feux de la Déesse ». Signalons que
la plupart des contributions à ce colloque sont aujourd’hui
réunies dans l’ouvrage
Chamanisme et possession, qui vient de paraître
dans la collection des Cahiers de musiques
traditionnelles.
La sortie de ce livre sera saluée
du 8 au 10 février par un cycle de concerts sur «
Musiques et chamanisme de Sibérie ». Organisé
à Genève par les Ateliers d’ethnomusicologie
en partenariat avec le musée du Quai Branly à
Paris, cette manifestation présentera en trois soirées
quelques-unes des expressions musicales les plus significatives
de cette vaste civilisation que partagent encore aujourd’hui
de nombreux peuples, de l’Altaï au cercle polaire,
de l’Oural à l’océan Pacifique.
Jusqu’au démantèlement
de l’URSS, l’Occident ignorait pratiquement tout
des musiques des populations autochtones sibériennes,
Les rares échos qui nous étaient parvenus laissaient
entrevoir une folklorisation accentuée et la disparition
des valeurs traditionnelles liées au chamanisme. Nous
savons désormais que la situation n’est pas aussi
alarmante qu’on aurait pu le croire. Les documents sonores
réunis dans la magnifique anthologie des musiques sibériennes
réalisée ces dernières années
par Henri Lecomte en apportent une preuve éclatante.
Ces enregistrements de terrain montrent bien que la plupart
des expressions musicales du chamanisme sont demeurées
vivaces, même si leur contexte social a souvent subi
de profondes modifications au cours des dernières décennies.
Le programme de ce cycle de concerts regroupe
des musiciens issus de seize ethnies différentes. Ils
ont été répartis en trois soirées
aux thématiques complémentaires : « Tambours
chamaniques » le 8 février, « Fêtes
et jeux de l’Ours » le 9 février, et «
Voix de gorge et chant diphonique » le 10 février.
En complément, la conférence d’Henri Lecomte
sur « le renouveau des musiques sibériennes »
et le film « Sept chants de la toundra » –
présenté en première suisse – fourniront
quelques clés d’écoute à ces manifestations,
ainsi qu’à la « civilisation du chamanisme
» dont elles témoignent, y compris ses développements
contemporains.
Laurent Aubert
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