Haut lieu de la spiritualité hindoue,
la ville sainte de Bénarès (aussi appelée
Kâshî ou Vârânasî) est le
centre de convergence d’innombrables pèlerins,
qui viennent effectuer leurs ablutions dans les eaux lustrales
du Gange afin de se laver de leurs péchés
et de se libérer du cycle des renaissances. On y
rencontre toujours de nombreux sâdhu, ermites dédiés
au culte du dieu Shiva, méditant ou conversant sur
les fameux ghât, les berges du fleuve sacré.
Mais la cité de Bénarès
est aussi un pôle artistique de première importance,
notamment en matière de musique et de danse. L’ensemble
des traditions musicales et chorégraphiques «
savantes » de l’Inde du Nord s’est en
effet transmis ces derniers siècles au sein d’«
écoles » ou de lignées d’artistes
(gharana), dont chacune a développé un style
et un répertoire particuliers, transmis de génération
en génération au sein de familles d’artistes
professionnels. Les principales de ces gharana sont celles
de Gwalior, d’Agra, de Kirana, de Delhi, de Jaipur,
de Patiala et de Bénarès.
Le gharana de Bénarès, dont
le centre névralgique est le fameux quartier de Kabir
Chaura, est surtout connu pour ses chanteurs, ses joueurs
de tabla et ses danseurs, même si elle a aussi produit
de nombreux instrumentistes de talent comme le célèbre
sitariste Ravi Shankar ou l’inimitable joueur de shahnai
Bismillah Khan. En ce qui concerne le chant, Bénarès
a produit quelques-uns des meilleurs vocalistes de l’Inde
contemporaine, comme la grande Girja Devi ou le fameux duo
des frères Rajan et Sajan Mishra. Mais Bénarès
s’est surtout fait connaître dans l’art
du thumri, un genre vocal semi-classique à caractère
à la fois romantique et dévotionnel, dont
Suchita Gupta, Ganesh Prasad et Prem Kishor Mishra sont
des spécialistes incontestés.
Dans le domaine des tabla, Kishan Maharaj
et notre invité Sharda Sahai sont aujourd’hui
les maîtres incontestés de l’école
de Bénarès, dont l’influence a marqué
de nombreux percussionnistes. Le « son » des
percussionnistes de Bénarès est immédiatement
identifiable à la qualité de ses frappes,
véritable invite à la danse, comme l’atteste
sa fréquente association au kathak, la danse classique
la plus réputée du nord du sous-continent,
dont Manisha, Mata Prasad et Ravi Shankar Mishra sont aujourd’hui
les dignes représentants à Bénarès.
Laurent Aubert
Jeudi
15 mai, 18h30 : Conférence

| La musique hindoustanie
et le système des gharana
Exposé par Antoine
Bourgeau,
accompagné d’exemples musicaux
Entrée libre |
Le nord du sous-continent indien, appelé
aussi Hindoustan, résonne de nombreuses traditions
musicales. L’une d’elles, popularisée
depuis le début du XXe siècle et incarnée
par d’éminents artistes comme Ravi Shankar,
Hariprasad Chaurasia ou Zakir Hussain, est l’objet
de cette présentation. Alors que sous nos latitudes,
elle répond au noms de « musique classique
de l’Inde du Nord » ou de « musique savante
indienne », en Inde, à côté du
terme anglais correspondant (classical music), une appellation
plus précise est souvent employée : shastriya
sangita. Cette expression fait référence
à l’illustre tradition musicale indienne et
ses trois piliers fondamentaux qui, depuis plus de 2000
ans, inscrivent ses lettres de noblesse : le raga
(le mode musical lié à un sentiment particulier),
le tala (la science rythmique) et le rasa
(l’esthétique ou, plus précisément,
« la saveur »).
Au-delà de cette référence
à cette tradition érudite, shastriya sangita
renvoie également à la non moins prestigieuse
tradition des lignées musicales qui, depuis l’époque
moghole, ont façonné cette musique, la distinguant
peu à peu, dans la pratique, de la shastriya
sangita du sud de l’Inde (la musique carnatique).
Ces lignées de musiciens appelées gharana
(« de la maison »), réparties dans les
principales places princières de l’Hindoustan,
ont ainsi perpétué l’art du raga,
du tala et du rasa. Tout à la fois
indissociable de la singularité de cette musique
et appartenance identitaire de première ordre, le
gharana sera présenté en mettant
en relief son émergence historique, ses caractéristiques
fondamentales ainsi que sa place dans le contexte actuel
de la musique hindoustanie. À l’occasion de
ce « Spécial Bénarès »,
nous présenterons plus particulièrement le
gharana de tabla de Bénarès à
travers son histoire, ses principales caractéristiques
(techniques et répertoire) et ses représentants,
depuis Pandit Ram Sahai – son fondateur à la
fin du XVIIIe siècle –, jusqu’aux plus
illustres musiciens contemporains comme Pandit Sharda Sahai
ou Pandit Kishan Maharaj.
Antoine Bourgeau
Jeudi
15 mai, 20h30 : Musique instrumentale
Cette première soirée sera
consacrée à trois des instruments phares de
la musique hindoustanie, la musique « classique »
de l’Inde du Nord : le sitar, qu’on
peut considérer comme le roi des instruments indiens,
le sarangi, la vièle aux « cent couleurs
», dont les cordes frottées par l’archet
reproduisent à la perfection toutes les inflexions
de la voix humaine, et le tabla, cette paire de
tambours habituellement destinés à l’accompagnement
des solistes, mais qui se révèle d’un
prodigieux potentiel expressif lorsqu’il se retrouve
sur le devant de la scène. Au programme, l’art
des raga et des tala, les deux composantes
de cette musique qui mêle savamment les compositions
les plus complexes aux improvisations les plus virtuoses.
Raga est un terme d’origine
sanscrite qui signifie littéralement « couleur
», « amour », « passion »,
et qui sert à désigner une structure modale
de la musique indienne. On pourrait dire qu’un raga
est une sorte de microcosme mélodique, défini
par une combinaison donnée de notes, d’accents
et de mouvements mélodiques destinés à
procurer un certain état, un sentiment particulier.
L’interprétation d’un raga donné
implique qu’on en utilise toutes les ressources, mais
à bon escient, et sans jamais en outrepasser les
limites. Chaque raga est en outre lié à
un moment précis de la journée, et certains
d’entre eux à des fêtes ou à des
périodes de l’année.
Tout aussi complexe et savante que sa dimension
mélodique, la composante rythmique de la musique
de l’Inde du Nord procède d’une véritable
arithmétique temporelle, mais poussée à
un degré de sophistication rarement atteint. Le terme
de tala, littéralement « paume de
la main », définit ainsi la structure métrique
de la musique indienne. Chaque tala est un cycle
rythmique, qui comporte un certain nombre de temps ou d’unités
de mesure (mâtrâ), dont certains sont
accentués et d’autres assourdis. Chaque tala
est déterminé par une formule rythmique de
base appelée theka, produite au tabla
par une série de frappes qui permettent de l’identifier.
Vendredi
16 mai, 20h30 : Musique vocale
1ère partie : Chant
khyal
2ème partie : Entre
la rose et le jasmin
Ce concert en deux partie s’ouvrir
sur une création, « Entre
la rose et le jasmin ». Cette invitation au voyage
entre Occident et Orient sera proposée par le chanteur
et sitariste Prem Kishor Mishra de Bénarès
avec la complicité de Françoise Atlan, bien
connue pour son interprétation des chants de tradition
sépharade et arabo-andalouse. Participeront également
à ce défi le flûtiste Claude Jordan,
improvisateur chevronné issu du jazz et de la musique
électro-acoustique, ainsi que les percussionnistes
Mata et Ravi, qu’on retrouvera par ailleurs dans le
programme consacré à la danse.
Ces musiciens partagent en effet le mérite
d’évoluer dans l’univers des musiques
modales, le monde du raga et celui du maqâm.
Les thèmes semi-classiques ou populaires, souvent
d’inspiration religieuse, se retrouvent et se rejoignent
chez les deux chanteurs. Au-delà de la rencontre
de répertoires existant, il s’agit d’un
travail de création musicale à travers compositions
et improvisations vocales et instrumentales, mêlant
les voix, le sitar et les percussions.
La seconde partie de la soirée sera
consacrée n récital vocal du jeune chanteur
Ganesh Prasad Mishra. Imprégné de l’esprit
et de l’esthétique du Banaras gharana,
Ganesh maîtrise les nombreux styles musicaux
traditionnels : aussi bien le grand chant classique khyal
(dont le nom signifie littéralement : « imagination
»), issu de la musique de cour de l’Empire moghol,
que des genres dits « semi-classiques » comme
le thumri, terme générique désignant
la poésie chantée, qui développe une
thématique à la fois romantique et dévotionnelle,
et le dadra, qui se développe sur un rythme
à 6 temps.
D’origine plus ancienne, le bhajan,
chant de louange, et le kirtana, hymne à
la gloire d’une déité, sont essentiellement
destinés à aviver le sentiment religieux des
auditeurs ; ils se caractérisent par des mélodies
et un vocabulaire simples et efficaces, accessibles à
tous. D’autres formes sont liées à la
danse, comme le tarana ; d’autres encore
se rapportent à une fête ou à une période
particulière de l’année, comme le hori,
chanté lors du Holi, la fête des couleurs,
le chaiti, lié au culte du dieu Râma,
ou le kajari, interprété pendant
la saison des pluies.
Samedi 17 mai, 17h
: Cinéma

|
Bye
Bye Indialusia
Film documentaire de Roland Pellarin, 52’
Production
: Stratis, 2003
Collection Ethnova, en collaboration avec les Ateliers
d’ethnomusicologie
|
Ce film présente le travail de deux
danseurs d’exception qui, durant de nombreuses années,
ont développé un langage commun basé
sur la rencontre de leurs expressions respectives : le flamenco
pour Ana la China, et la danse kathak pour Ravi Shankar
Mishra. Le spectacle « De Bénarès à
Jerez », dirigé par Astrid Stierlin, a fasciné
tous les spectateurs qui ont eu la chance d'y assister.
Cette expérience se distingue des nombreux projets
de fusion à la mode depuis quelques années
par la sincérité de la démarche et
l’exigence artistique dont elle témoigne. Grâce
à une enquête menée dans les milieux
de la musique et grâce à des reportages à
Bénarès et à Jerez, guidés par
les deux protagonistes, le film dévoile des atouts
et les faiblesses de ce type de rencontres métissée.

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Bénarès
: musique du Gange
Film documentaire
d’Yves Billon, 70’
Production
: Les Films du Village, 1992
En collaboration avec La Sept, Arte
|
Selon certains, Bénarès serait la plus ancienne
ville du monde, carrefour de toutes les cultures de l'Inde
et haut lieu de pèlerinages depuis 2.500 ans. Il
n'est donc pas étonnant que le film donne autant
à voir qu'à écouter : le Gange, le
« fleuve de la spiritualité » et «
l'architecture de l'eau » propre à la ville,
mais surtout de grands moments musicaux avec Ustad Bismillah
Khan jouant du shahnai (hautbois indien) avec la
dextérité improvisatrice d'un saxophoniste
« free » ; N. Rajan, jeune femme virtuose du
violon ; la grande chanteuse Girja Devi ; Lacchu Maharaj
et Jotin Bhattacharya.
Samedi 17 mai,
20h30 et dimanche 18 mai, 17h : Danse kathak
(programmes différents)
Le kathak est l'une des six danses classiques
de l'Inde. Le mot katha signifie en sanscrit « histoire,
conte ». Son origine se situe dans les âges
Védiques. A la base théâtre dansé
mimant les récits épiques et sacrés,
c'était alors un art purement religieux, comme la
plupart des danses hindoues. C'est l'arrivée des
Moghols en Inde au XVIe siècle qui marqua l'évolution
de la danse sacrée vers une danse de cour. En effet,
fort apprécié des nouveaux conquérants,
le kathak connut un essor prodigieux et devint un art classique
à part entière. La grâce, l'émotion
et la sophistication des gestes ainsi que la rapidité
et la précision des rythmes en sont les qualités
primordiales.
Les trois principales écoles (gharana)
de Kathak sont : le Jaipur gharana, où l'accent
est mis sur les tours et les rythmes des pieds, le Lucknow
gharana, où ce sont les expressions des
émotions, la finesse des gestes et du mime qui sont
mis en évidence, et le Banaras gharana, où
prédominent les vigoureux martèlements des
pieds, ainsi que les improvisations rythmiques virtuoses
entre danseurs et percussionnistes C'est le style de cette
dernière que dansent Manisha, Mata Prasad et Ravi
Shankar Mishra.
Les techniques du kathak font appel à
un langage chorégraphique extrêmement développé
s'exprimant par les mudra (gestes codés
des mains), les mouvements des pieds, les expressions faciales
et les positions du corps. Les chorégraphies sont
souvent récitées sous la forme de syllabes
mnémotechniques, les bol, qui décrivent
les évolutions de la danse et le tempo auquel elle
sera interprétée. L'accompagnement musical
comprend les percussions, avec le tabla et parfois
le pakhavaj, le chant ainsi qu' un ou plusieurs
instruments mélodiques tels que le sarangi
, le sitar ou l'harmonium. Il se structure autour
du dialogue entre les percussions et les danseurs. En effet,
les grelots (ghunghuru, au nombre d'environ 250),
noués aux chevilles des danseurs, sont des instruments
à part entière.
Dans un spectacle, le danseur exécute
une séquence précise de figures qui commence
sur un rythme lent, puis se double, pour atteindre finalement
un tempo extrêmement rapide. À des parties
de danse pure et de compositions rythmiques très
élaborées succèdent des moments d'improvisation.
Puis viennent des extraits mimés du Krishnalila,
du Ramayana ou du Mahabharata, les grands
poèmes épiques indiens. Le spectacle se termine
en général par les paran, évocations
de divinités de la mythologie hindoue.
Françoise Atlan donnera un stage
de chant des Andalousies samedi
17 et dimanche 18 mai
Prem Kishor Mishra donner aun stage de chant
hindoustani samedi 25 et dimanche 26 mai
Ravi S. Mishra et Mata P. Mishra donneront un stage
de danse kathak du 19 mai au 1 juin.
Dès 19h, petite restauration
et repas chauds proposés, uniquement sur réservation
(au plus tard 24h à l’avance)
Prix des places : 30.- FS
Membres Ateliers, AMR & Amdathtra, Amis du Musée
d’ethnographie, chômeurs, AVS : 22.- FS
Etudiants, jeunes : 15.- FS
Enfants jusqu’à 12 ans, cartes 20 ans/20 francs:
10.- FS
Films : 8 frs (adem, carte 20ans/20frs : 5 frs
Conférence : entrée libre
Passe général : 80.- FS (plein tarif) / 60.-
FS (membres…) / 45.- FS (étudiants…)
Location : Service Culturel
Migros, 7 rue du Prince, Genève (lu-ve, 10h-18h),
dès le 4 avril
Réservations : uniquement sur le
site www.adem.ch
Renseignements : tél.
022 919 04 94
Concerts organisés avec le soutien du Département
de la culture de la Ville de Genève, du Département
de l'instruction publique de l'Etat de Genève et
de la Direction du Développement et de la Coopération
DDC.
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